WASHINGTON, DC – L'invasion de l'Ukraine par la Russie a révélé de nombreuses et graves faiblesses de l'ordre international. L'une des principales faiblesses à corriger concerne le Conseil de sécurité des Nations unies et son rôle de supervision du système multilatéral. Plus précisément, et soulignant un point que nous avions mis en évidence dans notre essai paru dans un récent rapport de la Brookings Institution, la guerre en Ukraine a montré une fois de plus que le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité est une pierre d'achoppement majeure pour la paix.
Le chapitre I, article 1 de la Charte des Nations unies, qui a été rédigée après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, stipule que le premier objectif de l'ONU est de maintenir la paix et la sécurité internationales. À cette fin, l'organisation vise à prévenir les menaces à la paix, à réprimer les actes d'agression et à favoriser le règlement pacifique des différends internationaux. Les chapitres VI et VII de la Charte confient cette mission essentielle au Conseil de sécurité.
Mais le droit de veto absolu accordé par l'article 27 à chacun des membres permanents du Conseil (le P5, composé de la Chine, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni et des États-Unis) constitue depuis le début un obstacle majeur à l'accomplissement de la mission de cet organe. En effet, le P5 a presque toujours été divisé en blocs géopolitiques rivaux, le membre d'un bloc – le plus souvent l'Union soviétique (et maintenant son héritier, la Russie) ou les États-Unis – exerçant son droit de veto sur de nombreuses décisions cruciales.
Le blitz sauvage de la Russie en Ukraine est un rappel brutal de l'impuissance du Conseil de sécurité lorsque les intérêts d'un ou de plusieurs des P5 entrent en conflit avec ceux des autres membres. Après la Seconde Guerre mondiale, les optimistes espéraient qu'une menace pour la sécurité amènerait le Conseil de sécurité à imposer dans un premier temps des sanctions économiques globales et contraignantes afin de dissuader toute agression et d'encourager la résolution pacifique des conflits.
Mais dans le conflit actuel en Ukraine, le veto de la Russie au Conseil de sécurité signifie que les États-Unis et leurs alliés ne peuvent imposer des sanctions que par le biais d'une « coalition de volontaires ». Il est vrai que le grand nombre de pays et la portée extraterritoriale du système de paiement basé sur le dollar donnent aux sanctions imposées par les États-Unis un poids considérable. Pourtant, dans ce cas comme dans d'autres, un système de sanctions mondiales appliqué par le Conseil de sécurité serait encore plus débilitant pour l'économie sanctionnée.
En outre, le rôle de plus en plus important joué par les monnaies numériques et les changements que cela pourrait entraîner dans le système monétaire international pourraient bientôt diminuer le rôle du dollar et réduire ce qu'une coalition de volontaires dirigée par les États-Unis peut accomplir. De plus, dans d'autres cas, comme la décision de 2018 de l'ancien président américain Donald Trump de réimposer des sanctions économiques sévères contre l'Iran, la portée extraterritoriale du dollar a suscité un ressentiment considérable, même parmi les alliés des États-Unis.
Enfin, bien qu'une grande partie du monde se rallie actuellement à la coalition des démocraties dirigée par les États-Unis face à l'agression russe flagrante contre l'Ukraine, nous ne pouvons malheureusement pas exclure la possibilité qu'une future administration américaine, comme celle dirigée par Trump ou un équivalent, puisse faire quelque chose qui rendrait potentiellement son veto au Conseil de sécurité problématique aux yeux d’une grande partie du monde démocratique.
Le fait qu'un Conseil de sécurité de plus en plus illégitime et inefficace se trouve au cœur du système multilatéral d'aujourd'hui est d'autant plus regrettable que les menaces à la paix et à la sécurité sont de plus en plus nombreuses. Il s'agit non seulement d'actes d'agression conventionnels, comme celui auquel le monde assiste actuellement en Ukraine – qui pourrait dégénérer en échanges nucléaires dans les prochains jours, mais aussi d'autres menaces pour la sécurité posées par les nouvelles technologies.
Par exemple, des acteurs étatiques ou non étatiques pourraient causer des ravages au moyen de cyber-attaques dévastatrices ou par l'utilisation abusive de l'intelligence artificielle. Des virus synthétiques encore plus mortels que le coronavirus à l'origine de la COVID-19 pourraient infliger des dommages indicibles, que ce soit par le biais du bioterrorisme ou d’une bio-erreur. Enfin, le changement climatique est une menace pour toute l'humanité qui doit figurer sur l'écran radar d'un Conseil de sécurité réformé. Des réglementations strictes et universellement contraignantes sont nécessaires de toute urgence dans tous ces domaines.
Nous préconisons dès lors de changer radicalement le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité, en introduisant la possibilité de renverser le veto d'un membre permanent. Cela pourrait se faire en ajoutant une clause à l'article 27 qui permettrait à une large double majorité – représentant, par exemple, au moins deux tiers des pays membres et deux tiers de la population mondiale – de passer outre un veto.
Notre proposition se heurterait aujourd'hui au veto de la Russie et probablement de la Chine – et peut-être aussi des trois démocraties du P5, dont les États-Unis. Mais une grande majorité de pays la soutiendraient probablement. En fait, c'est le moment idéal pour les démocraties du monde, y compris les États-Unis, de proposer un tel changement. En soutenant cette proposition, l'administration du président Joe Biden pourrait saisir l'occasion et montrer sa détermination à créer un système multilatéral plus équitable et inclusif. Cela enverrait un message fort – et largement salué – selon lequel les États-Unis sont convaincus que leur intérêt national éclairé peut être en accord avec les intérêts d'une grande majorité des pays et des peuples du monde.
Dans un premier temps, il est peu probable qu'une telle proposition obtienne un soutien suffisant au sein du Congrès américain. Mais toute crise recèle une opportunité. Un projet tel que celui décrit ci-dessus pourrait stimuler le soutien à la réforme aux États-Unis et dans d'autres démocraties parmi toutes celles et tous ceux qui sont préoccupés par les menaces anciennes et nouvelles pour la sécurité humaine.
La paix étant de plus en plus menacée, le Conseil de sécurité pourrait jouer un rôle beaucoup plus important dans l'atténuation des dangers. Espérons que l'agression de la Russie contre l'Ukraine déclenche un changement radical qui rende cet organe plus légitime et plus efficace.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont
WASHINGTON, DC – L'invasion de l'Ukraine par la Russie a révélé de nombreuses et graves faiblesses de l'ordre international. L'une des principales faiblesses à corriger concerne le Conseil de sécurité des Nations unies et son rôle de supervision du système multilatéral. Plus précisément, et soulignant un point que nous avions mis en évidence dans notre essai paru dans un récent rapport de la Brookings Institution, la guerre en Ukraine a montré une fois de plus que le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil de sécurité est une pierre d'achoppement majeure pour la paix.
Le chapitre I, article 1 de la Charte des Nations unies, qui a été rédigée après la dévastation de la Seconde Guerre mondiale, stipule que le premier objectif de l'ONU est de maintenir la paix et la sécurité internationales. À cette fin, l'organisation vise à prévenir les menaces à la paix, à réprimer les actes d'agression et à favoriser le règlement pacifique des différends internationaux. Les chapitres VI et VII de la Charte confient cette mission essentielle au Conseil de sécurité.
Mais le droit de veto absolu accordé par l'article 27 à chacun des membres permanents du Conseil (le P5, composé de la Chine, de la France, de la Russie, du Royaume-Uni et des États-Unis) constitue depuis le début un obstacle majeur à l'accomplissement de la mission de cet organe. En effet, le P5 a presque toujours été divisé en blocs géopolitiques rivaux, le membre d'un bloc – le plus souvent l'Union soviétique (et maintenant son héritier, la Russie) ou les États-Unis – exerçant son droit de veto sur de nombreuses décisions cruciales.
Le blitz sauvage de la Russie en Ukraine est un rappel brutal de l'impuissance du Conseil de sécurité lorsque les intérêts d'un ou de plusieurs des P5 entrent en conflit avec ceux des autres membres. Après la Seconde Guerre mondiale, les optimistes espéraient qu'une menace pour la sécurité amènerait le Conseil de sécurité à imposer dans un premier temps des sanctions économiques globales et contraignantes afin de dissuader toute agression et d'encourager la résolution pacifique des conflits.
Mais dans le conflit actuel en Ukraine, le veto de la Russie au Conseil de sécurité signifie que les États-Unis et leurs alliés ne peuvent imposer des sanctions que par le biais d'une « coalition de volontaires ». Il est vrai que le grand nombre de pays et la portée extraterritoriale du système de paiement basé sur le dollar donnent aux sanctions imposées par les États-Unis un poids considérable. Pourtant, dans ce cas comme dans d'autres, un système de sanctions mondiales appliqué par le Conseil de sécurité serait encore plus débilitant pour l'économie sanctionnée.
En outre, le rôle de plus en plus important joué par les monnaies numériques et les changements que cela pourrait entraîner dans le système monétaire international pourraient bientôt diminuer le rôle du dollar et réduire ce qu'une coalition de volontaires dirigée par les États-Unis peut accomplir. De plus, dans d'autres cas, comme la décision de 2018 de l'ancien président américain Donald Trump de réimposer des sanctions économiques sévères contre l'Iran, la portée extraterritoriale du dollar a suscité un ressentiment considérable, même parmi les alliés des États-Unis.
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Enfin, bien qu'une grande partie du monde se rallie actuellement à la coalition des démocraties dirigée par les États-Unis face à l'agression russe flagrante contre l'Ukraine, nous ne pouvons malheureusement pas exclure la possibilité qu'une future administration américaine, comme celle dirigée par Trump ou un équivalent, puisse faire quelque chose qui rendrait potentiellement son veto au Conseil de sécurité problématique aux yeux d’une grande partie du monde démocratique.
Le fait qu'un Conseil de sécurité de plus en plus illégitime et inefficace se trouve au cœur du système multilatéral d'aujourd'hui est d'autant plus regrettable que les menaces à la paix et à la sécurité sont de plus en plus nombreuses. Il s'agit non seulement d'actes d'agression conventionnels, comme celui auquel le monde assiste actuellement en Ukraine – qui pourrait dégénérer en échanges nucléaires dans les prochains jours, mais aussi d'autres menaces pour la sécurité posées par les nouvelles technologies.
Par exemple, des acteurs étatiques ou non étatiques pourraient causer des ravages au moyen de cyber-attaques dévastatrices ou par l'utilisation abusive de l'intelligence artificielle. Des virus synthétiques encore plus mortels que le coronavirus à l'origine de la COVID-19 pourraient infliger des dommages indicibles, que ce soit par le biais du bioterrorisme ou d’une bio-erreur. Enfin, le changement climatique est une menace pour toute l'humanité qui doit figurer sur l'écran radar d'un Conseil de sécurité réformé. Des réglementations strictes et universellement contraignantes sont nécessaires de toute urgence dans tous ces domaines.
Nous préconisons dès lors de changer radicalement le mode de fonctionnement du Conseil de sécurité, en introduisant la possibilité de renverser le veto d'un membre permanent. Cela pourrait se faire en ajoutant une clause à l'article 27 qui permettrait à une large double majorité – représentant, par exemple, au moins deux tiers des pays membres et deux tiers de la population mondiale – de passer outre un veto.
Notre proposition se heurterait aujourd'hui au veto de la Russie et probablement de la Chine – et peut-être aussi des trois démocraties du P5, dont les États-Unis. Mais une grande majorité de pays la soutiendraient probablement. En fait, c'est le moment idéal pour les démocraties du monde, y compris les États-Unis, de proposer un tel changement. En soutenant cette proposition, l'administration du président Joe Biden pourrait saisir l'occasion et montrer sa détermination à créer un système multilatéral plus équitable et inclusif. Cela enverrait un message fort – et largement salué – selon lequel les États-Unis sont convaincus que leur intérêt national éclairé peut être en accord avec les intérêts d'une grande majorité des pays et des peuples du monde.
Dans un premier temps, il est peu probable qu'une telle proposition obtienne un soutien suffisant au sein du Congrès américain. Mais toute crise recèle une opportunité. Un projet tel que celui décrit ci-dessus pourrait stimuler le soutien à la réforme aux États-Unis et dans d'autres démocraties parmi toutes celles et tous ceux qui sont préoccupés par les menaces anciennes et nouvelles pour la sécurité humaine.
La paix étant de plus en plus menacée, le Conseil de sécurité pourrait jouer un rôle beaucoup plus important dans l'atténuation des dangers. Espérons que l'agression de la Russie contre l'Ukraine déclenche un changement radical qui rende cet organe plus légitime et plus efficace.
Traduit de l’anglais par Timothée Demont